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Le Salon de 1846

Second volume des Salons

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XVII. DES ÉCOLES ET DES OUVRIERS

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Avez-vous éprouvé, vous tous que la curiosité du flâneur a souvent fourrés dans une émeute, la même joie que moi à voir un gardien du sommeil public, – sergent de ville ou municipal, la véritable armée, – crosser un républicain ? Et comme moi, vous avez dit dans votre cœur: « Crosse, crosse un peu plus fort, crosse encore, municipal de mon cœur; car en ce crossement suprême, je t’adore, et je te juge semblable à Jupiter, le grand justicier. L’homme que tu crosses est un ennemi des roses et des parfums, un fanatique des ustensiles; c’est un ennemi de Watteau, un ennemi de Raphaël, un ennemi acharné du luxe, des beaux-arts et des belles-lettres, iconoclaste juré, bourreau de Vénus et d’Apollon ! Il ne veut plus travailler, humble et anonyme ouvrier, aux roses et aux parfums publics; il veut être libre, l’ignorant, et il est incapable de fonder un atelier de fleurs et de parfumeries nouvelles. Crosse religieusement les omoplates de l’anarchiste ! »
   Ainsi, les philosophes et les critiques doivent-ils impitoyablement crosser les singes artistiques, ouvriers émancipés qui haïssent la force et la souveraineté du génie.
   Comparez l’époque présente aux époques passées; au sortir du Salon ou d’une église nouvellement décorée, allez reposer vos yeux dans un musée ancien, et analysez les différences.
   Dans l’un, turbulence, tohu-bohu de styles et de couleurs, cacophonie de tons, trivialités énormes, prosaïsme de gestes et d’attitudes, noblesse de convention, poncifs de toutes sortes, et tout cela visible et clair, non seulement dans les tableaux juxtaposés, mais encore dans le même tableau: bref, – absence complète d’unité, dont le résultat est une fatigue effroyable pour l’esprit et pour les yeux.
   Dans l’autre, ce respect qui fait ôter leurs chapeaux aux enfants, et vous saisit l’âme, comme la poussière des tombes et des caveaux saisit la gorge, est l’effet, non point du vernis jaune et de la crasse des temps, mais de l’unité, de l’unité profonde. Car une grande peinture vénitienne jure moins à côté d’un Jules Romain que quelques-uns de nos tableaux, non pas des plus mauvais, à côté les uns des autres.
   Cette magnificence de costumes, cette noblesse de mouvements, noblesse souvent maniérée, mais grande et hautaine, cette absence des petits moyens et des procédés contradictoires, sont des qualités toutes impliquées dans ce mot: la grande tradition.
   Là des écoles, et ici des ouvriers émancipés.
   Il y avait encore des écoles sous Louis XV, il y en avait une sous l’Empire, – une école, c’est-à-dire une foi, c’est-à-dire l’impossibilité du doute. Il y avait des élèves unis par des principes communs, obéissant à la règle d’un chef puissant, et l’aidant dans tous ses travaux.
   Le doute, ou l’absence de foi et de naïveté, est un vice particulier à ce siècle, car personne n’obéit; et la naïveté, qui est la domination du tempérament dans la manière, est un privilège divin dont presque tous sont privés.
   Peu d’hommes ont le droit de régner, car peu d’hommes ont une grande passion.
   Et comme aujourd’hui chacun veut régner, personne ne sait se gouverner.
   Un maître, aujourd’hui que chacun est abandonné à soi-même, a beaucoup d’élèves inconnus dont il n’est pas responsable, et sa domination, sourde et involontaire, s’étend bien au delà de son atelier, jusqu’en des régions où sa pensée ne peut être comprise.
   Ceux qui sont plus près de la parole et du verbe magistral gardent la pureté de la doctrine, et font, par obéissance et par tradition, ce que le maître fait par la fatalité de son organisation.
   Mais, en dehors de ce cercle de famille, il est une vaste population de médiocrités, singes de races diverses et croisées, nation flottante de métis qui passent chaque jour d’un pays dans un autre, emportent de chacun les usages qui leur conviennent, et cherchent à se faire un caractère par un système d’emprunts contradictoires.
   Il y a des gens qui voleront un morceau dans un tableau de Rembrandt, le mêleront à une œuvre composée dans un sens différent sans le modifier, sans le digérer et sans trouver la colle pour le coller.
   Il y en a qui changent en un jour du blanc au noir: hier, coloristes de chic, coloristes sans amour ni originalité; demain, imitateurs sacrilèges de M. Ingres, sans y trouver plus de goût ni de foi.
   Tel qui rentre aujourd’hui dans la classe des singes, même des plus habiles, n’est et ne sera jamais qu’un peintre médiocre; autrefois, il eût fait un excellent ouvrier. Il est donc perdu pour lui et pour tous.
   C’est pourquoi il eût mieux valu dans l’intérêt de leur salut, et même de leur bonheur, que les tièdes eussent été soumis à la férule d’une foi vigoureuse; car les forts sont rares, et il faut être aujourd’hui Delacroix ou Ingres pour surnager et paraître dans le chaos d’une liberté épuisante et stérile.
   Les singes sont les républicains de l’art, et l’état actuel de la peinture est le résultat d’une liberté anarchique qui glorifie l’individu, quelque faible qu’il soit, au détriment des associations, c’est-à-dire des écoles.
   Dans les écoles, qui ne sont autre chose que la force d’invention organisée, les individus vraiment dignes de ce nom absorbent les faibles; et c’est justice, car une large production n’est qu’une pensée à mille bras.
   Cette glorification de l’individu a nécessité la division infinie du territoire de l’art. La liberté absolue et divergente de chacun, la division des efforts et le fractionnement de la volonté humaine ont amené cette faiblesse, ce doute et cette pauvreté d’invention; quelques excentriques, sublimes et souffrants, compensent mal ce désordre fourmillant de médiocrités. L’individualité, – cette petite propriété, – a mangé l’originalité collective; et, comme il a été démontré dans un chapitre fameux d’un roman romantique, que le livre a tué le monument, on peut dire que pour le présent c’est le peintre qui a tué la peinture.


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"Tout enfant, j'ai senti dans mon coeur deux sentiments contradictoires, l'horreur de la vie et l'extase de la vie." 
 
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